Les dents de l’amer : les requins et la consommation de poissons au Marineland d’Antibes

  Le Marineland d’Antibes a annoncé que « la pédagogie sera le mot-clé (…) pour la période à venir ». Le parc a donc ré-ouvert, après les inondations du mois d’octobre qui ont dévasté le parc à 90% (le contraignant à rester fermé pendant presque 6 mois). L’occasion de passer un petit coup de peinture sur des installations devenues vétustes même avant les inondations, et d’apposer pour l’occasion de nouveaux visuels rappelant les 3 missions d’un zoo : éducation, conservation et recherche.
(Missions qui ne datent pourtant pas d’hier, comme on pourrait le supposer en écoutant le nouveau discours du Marineland, puisque tous les zoos, y compris les delphinariums, sont assujettis à cette obligation depuis… plus de 15 ans ! )
Les nouveaux slogans sont à présent « Apprendre », « Découvrir »…. et « S’amuser ». Car si les spectacles sont aujourd’hui dotés d’une bande-son sérieuse de « documentaire animalier » et non plus de tubes pop-rock, les cabrioles des animaux sont toujours savamment mises en scène pour « faire lever le poil » (sic) chez le spectateur.

  • Des animaux présentés comme des « attractions »

  Dans un précédent article, nous avons vu ce que cette refonte d’image aux relents de green-washing impliquait réellement pour les animaux vedettes du parc, orques et dauphins. Les otaries, quant à elles,  ne semblent pas concernées par ce changement de philosophie. Le parc n’a fait aucune annonce concernant une éventuelle élimination « de l’aspect show ». La description des « représentations des otaries » faite sur le site officiel du parc se borne d’ailleurs (contrairement aux dauphins et aux orques) à un paragraphe générique sur les missions des parcs zoologiques (où l’on découvre avec étonnement une nouvelle mission surgissant de nulle part  parmi les trois officielles encadrées par la loi : la « récréation »).
Pour les autres animaux (manchots, ours polaires, aquarium, requins), guère de nouveautés, le « produit » est vendu comme une « attraction ».

  •   Et qu’en est-il des requins ?

  Le tunnel des requins avait été lui aussi gravement endommagé par les inondations. Le reportage du Point, dont les journalistes ont été les premiers à pouvoir arpenter le parc après la catastrophe, le montrait dévasté par la boue, et rapportait qu’une odeur nauséabonde y régnait. Concernant les animaux des aquariums, entièrement dépendants de la filtration de l’eau et des thermostats pour leur survie, le parc s’est borné à déplorer la perte de « quelques poissons ». Sans plus de détails.

  Sur le site du parc, la plongée dans l’aquarium des requins est toujours proposée comme activité (moyennant un supplément de 60 euros) avec la promesse d’un « frisson maximum ! »
Et c’est bien là que le bât blesse. Car si, dans la description de l’activité, le parc déclare « espérer » que son public sorte « de cette aventure, avec un nouveau regard sur les requins », c’est pourtant sur l’image effrayante des requins que surfe le marketing du parc.

  • Une pédagogie de film d’horreur

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Affiche du film « Les Dents de La Mer »

  Alors que le discours entourant les nouvelles « représentations » (puisque le mot spectacle, qui en est pourtant un synonyme, est à présent tabou) se pare d’une aura d’éducation et de sensibilisation, les requins, eux, sont malheureusement toujours associés à la peur, et au film « Les Dents de La Mer ».

Le film (premier d’une quadralogie), réalisé en 1975 par Spielberg, met en scène un gigantesque squale (ou requin blanc) qui dévore des baigneurs, semant la terreur dans une station balnéaire aux USA.
Ce film, qui a traumatisé une génération toute entière, a largement contribué à imprégner l’imaginaire collectif d’une terreur à l’égard du requin blanc, et des autres espèces de requins, y compris les plus inoffensives.
Cette mauvaise publicité a eu pour effet immédiat un profond désintérêt du grand public à l’égard de la protection de ces animaux, et, pire encore, de véritables psychoses, arrangeant bien les industriels de la pêche, du tourisme et des sports nautiques que les requins dérangent dans leurs activités.

  Il est donc surprenant de la part d’un parc prétendant mettre la pédagogie et la conservation des espèces en avant de continuer de vendre ses requins en surfant sur la vague de terreur qui leur a fait si grand mal.

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Affiche 2016

 

  L’affiche représente, en contre-plongée, une tête de requin à l’inquiétant regard rond et aux dents bien visibles, se détachant sur fond noir. Le texte est également étudié pour créer la peur : « Il est de retour avec son cortège de choc », une accroche qui n’a rien à envier aux films d’horreur de série Z. Le hashtag #DentsDeLaMer finit de ranger définitivement le requin dans la catégorie des cauchemars.

  En outre, les « Dents de la Mer » mettait en scène un grand requin blanc. Marineland n’en possède pas : Dans son aquarium, il expose des requins taureaux, requins gris et requins nourrices. Sur l’affiche, pourtant assortie du titre du film, il s’agit  d’un requin gris.

  Au delà de la mauvaise publicité faite par Hollywood aux requins, la problématique les concernant est vaste et complexe.

  • Les requins et le tourisme

Du fait de la sur-pèche qui appauvrit les sources de proies, les requins se rapprochent des côtes, en quête de nourriture, et attirés par les déchets rejetés dans l’eau par les pécheurs. Mais le long des côtes, il y a des plages, des stations balnéaires, des surfeurs et des touristes.
Si la majorité des requins est plutôt pacifique, voire timide, et s’attaque très rarement à l’homme sans être d’abord provoquée, ils ont une très mauvaise vue, qui peut les pousser à confondre une planche de surf ou un nageur avec un phoque (les proies habituelles des gros requins). Selon certains spécialistes, les clapotis produit par une planche de surf ressembleraient à ceux d’un poisson blessé. Le requin mordant sa proie pour l’identifier, la grande majorité des « attaques » seraient en fait des accidents. Les sports nautiques se multipliant ces dernières années, il en de fait de même pour le nombre d’attaques de requins recensées.
Pourtant « chaque année dans le monde, entre cinq et quinze personnes décèdent suite à une attaque de requin. En comparaison, les morsures de chien ou les piqûres de guêpe causent davantage de victimes. » (source)

  La présence de requins ailleurs que dans les aquariums semble poser un vrai problème pour les professionnels du tourisme. Seulement, exterminer les requins en quête de nourriture qui s’aventurent trop près des côtes, par des moyens à l’efficacité discutable et présentant une réelle menace pour d’autres espèces, y compris en France, est non seulement peu efficace mais surtout un non-sens écologique. Car les requins sont indispensables à l’équilibre de tout l’éco-système des mers et des océans (et de nombreuses espèces de requins sont au bord de l’extinction), dont dépend directement notre propre survie. S’ils représentent une menace grandissante pour les activités de tourisme, c’est avant tout à cause d’une autre activité humaine dévastatrice pour les océans : la pêche industrielle.

  • Les requins, victimes collatérales de la sur-pêche

  Le nouveau directeur du Marineland, Arnaud Palu, évoquait maladroitement (sur France Bleu Azur , le 18 mars) la pratique du « shark finning », qui consiste à découper l’aileron du requin avant de rejeter l’animal mutilé à la mer, où il agonisera en se vidant de son sang. Les ailerons serviront à fabriquer une soupe, très goûtée sur le continent asiatique. Cette pratique cruelle est interdite en UE depuis 2003, mais continue d’avoir cours dans le Pacifique.
Toutefois, selon l’ONG Shark Alliance,  les populations de requins seraient surtout menacées par les prises accessoires… c’est-à dire celles occasionnées par la pêche industrielle d’autres poissons. Si les requins péchés « accidentellement »sont censés être rejetés par la suite à la mer, cela ne garantit en rien que les animaux, traumatisés physiquement et soumis au stress, restent vivants très longtemps. (source)
Les populations de requins sont directement menacées par la pêche du thon et par le chalutage profond. Mais c’est bien le problème de la sur-pêche dans sa globalité qui les menace. Et par conséquent, la consommation à grande échelle de produits de la mer.

  • Le menu des restaurants du Marineland d’Antibes

  Marineland ne cesse de mettre en avant une participation active à la « préservation des océans et de leur biodiversité », via notamment la fondation d’entreprise du parc. La Fondation Marineland est présentée comme ayant « pour vocation la conservation des espèces marines et de leur environnement ».

Les slogans scandés par les vidéos qui accompagnent les spectacles 2016 sont à l’avenant : « protégeons nos océans », « préservons l’équilibre de la chaîne alimentaire. »

  Il est donc surprenant de voir affiché au menu des restaurants du parc plusieurs plats à base de poissons ou de crustacés. Outre le thon (dont la pêche menace directement les populations de requins), on retrouve le saumon (dont la consommation de chair représente en outre un risque sanitaire et une menace écologique, qu’il soit sauvage ou d’élevage), la daurade, surimi (dont la composition est souvent énigmatique)…
Même constatation pour le service traiteur proposé par le parc : saumon, daurade, thon, crustacés, coquillage, morue, rouget, turbot, sole…
(Pour plus de détails, voir la liste des allergènes des produits commercialisés dans les restaurants et snacks du parc)

  Côté provenance des produits, aucune indication disponible sur le site internet concernant celle des poissons. Tout au plus Marineland assure-t-il au consommateur : « L’origine de nos viandes est connue, elles disposent d’un agrément sanitaire et sont l’objet d’un contrôle à réception. » Il n’y a donc aucun moyen de s’assurer que les produits de la mer, servis au sein d’un parc prétendant participer à la protection des océans, seront au moins issus d’une pêche la moins destructrice possible.
Un espoir de toute façon bien maigre dans un parc d’attraction (où les clients sont là pour se distraire et non consommer éthique) et qui cherche sans cesse à tirer ses coûts vers le bas.

  • Et les animaux ?

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Le tableau des rations des orques (en kilos) – Extrait du 20h de France 2 du 29 avril 2015

Outre la restauration humaine, il convient de se poser la question de la nourriture distribuée aux animaux, qui est constituée presque exclusivement…. de poissons.

Principalement maquereaux et harengs, mais aussi sprats, capelins, merlans… tous des petits poissons de « basse qualité » utilisés dans la fabrication de farines à destination des animaux d’élevage, et dont la pêche pose de graves soucis écologiques.
Et les quantités sont énormes : le parc indique lui-même que « environ 500 kilos de poissons sont préparés chaque jour pour les repas des animaux du parc » (il mentionne parfois 600 kilos.)

  Si les animaux vivant et chassant en milieu naturel consomment également de grandes quantités de poissons, leur mode d’alimentation est par contre en totale cohérence écologique : prise de poissons matures, respect du cycle de reproduction des proies, respect de tous les maillons de la chaîne alimentaire… Un fonctionnement naturel et cohérent qui ne menace en rien l’équilibre d’un système dont ces prédateurs font partie de la façon la plus harmonieuse qui soit.
L’exact inverse d’une consommation qui se compte en centaines de tonnes par an de poissons issus d’un pêche industrielle désastreuse pour l’éco-système des océans.
Et le message hypocrite qui accompagne les nouveaux spectacles du Marineland : « Préservons l’équilibre de la chaîne alimentaire » n’y change rien.

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La « cuisine » des orques – Extrait du 20h de France 2 du 29 avril 2015

  Comment le Marineland d’Antibes peut-il à la fois prétendre participer à la protection des océans, et consommer autant de produits de la mer (que ce soit pour la restauration humaine ou l’alimentation des animaux captifs), au mépris flagrant de l’équilibre de la chaîne alimentaire, lui aussi prétendument défendu ?

  Comment le parc peut-il prétendre sensibiliser et éduquer le public à la cause des requins, notamment en changeant le regard porté sur ceux-ci, tout en continuant à les présenter comme les meurtriers sanguinaires du film « Les Dents de la Mer » ?


4 réflexions sur “Les dents de l’amer : les requins et la consommation de poissons au Marineland d’Antibes

  1. Très bon article qui prouve encore une fois l’incohérence entre les dires & les actes de Marineland.
    Je trouve la publicité sur les requins de Marineland scandaleuse avec ce « #dentsdelamer »…. Préservation ? Non, bon coup marketing !
    En tout cas merci d’avoir parlé des grands oubliés que sont les requins.

    Bises,
    Marion

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    1. Ce n’est pas mon domaine de prédilection, mais (comme tout en fait) pour qui défend les animaux, le travail de recherche a été super intéressant. L’occasion d’apprendre plein de choses !

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