Traduction de l’article paru sur vox.com : http://www.vox.com/2016/3/22/11275970/seaworld-orca-killer-whale
12 ans passés à SeaWorld.
Voilà pourquoi j’ai arrêté.
Ce que j’ai vu pendant ces années passées là-bas me hante encore.
Par John Hargrove, le 22 Mars 2016
Depuis mes 6 ans, j’avais toujours rêvé de travailler avec les orques. J’ai toujours aimé les animaux, mais je suis tombé amoureux des orques en particulier, enfant, pendant une excursion à SeaWorld. Les orques sont des êtres majestueux, intelligents et sensibles.
En 1993, à l’âge de 20 ans, mon rêve est devenu réalité : j’ai été engagé par SeaWorld. J’ai gravi les échelons et suis devenu dresseur en chef, travaillant à la fois au SeaWorld de Californie et à celui du Texas. J’ai aussi supervisé le dressage des orques dans un parc marin sur la Côte d’Azur en France (Marineland d’Antibes, NDT).
J’ai travaillé avec 20 orques différentes, et travaillé dans l’eau avec 17 d’entre elles (y compris les plus menaçantes et dangereuses de l’entreprise). J’ai construit des relations vraiment réciproques avec les animaux. J’ai aimé chacune d’entre elles aussi profondément que possible, et je conserve des souvenirs que je chérirai pour le reste de ma vie. Mais, malheureusement, la réalité n’est pas entièrement ce qu’il parait. Le 17 août 2012, après plusieurs années de malaise croissant au sujet du programme des orques de SeaWorld, j’ai démissionné.
SeaWorld vient juste d’annoncer que la compagnie va mettre un terme à son programme de reproduction, et que ce serait la dernière génération d’orques en captivité. Suis-je fou de joie ? Oui. Est-ce que j’ai toujours des questions ? Bien sûr.
- Comment était-ce de travailler à SeaWorld
Au début, et pendant de nombreuses années, j’étais heureux de travailler à SeaWorld. Je ne comprenais pas ce qui était de la bonne santé ou non, normal ou anormal. J’étais juste ravi de voir s’accomplir mon rêve, ma passion.
Mais plus j’en apprenais et plus je montais en grade, plus je voyais et accomplissais des choses qui me hantent encore aujourd’hui. J’ai réalisé que nous exploitions ces orques pour faire d’énormes profits, tout en faisant passer ça pour de l’éducation et de la conservation. La réalité était que j’étais exploité également, mais cela me prendrait des années, et la mort de deux collègues, pour le réaliser vraiment.
J’ai pris part à la première insémination artificielle sur une orque, dans l’année 2000. C’était une orque capturée en milieu naturel, en Islande, appelée Kasatka, et le programme de reproduction a commencé là. Je me souviens que mes chefs me disaient que nous avions la responsabilité morale de diversifier le creuset génétique des orques, et qu’en fait, nous prenions soin des orques en expérimentant l’insémination artificielle. Au début, j’ai cru ce que l’on nous racontait : que c’était une bonne chose et que nous étions des pionniers. Puis, la vraie raison de la procédure m’est devenue claire : les orques étaient devenues des machines à bébés, pour le profit.
SeaWorld a fait des croisements d’orques à travers des confinements forcés et des inséminations artificielles, créant des hybrides qui n’existent même pas dans le monde naturel. Les croisements consanguins, qui n’arrivent jamais chez les orques dans la nature, ont commencé à devenir courants : SeaWorld avait un mâle, Taku, qui s’est reproduit avec sa propre mère, Katina, donnant naissance à un veau (le terme « calf », « veau » désigne le petit de l’orque, NDT) appelé Nalani.
Pour empirer les choses, SeaWorld a aussi séparé les mères de leurs veaux. Cette séparation n’arrive jamais en milieu naturel. Les familles restent unies pour la vie. Quand j’étais à SeaWorld, les veaux étaient généralement enlevés à leurs mères vers 3 ou 4 ans, mais j’en ai été témoin dès l’âge de 20 mois. Keet tétait encore sa mère, Kalina, quand elle a été arrachée à elle et expédiée dans un autre parc. A ma connaissance, elles n’ont jamais été réunies à nouveau.
J’ai été témoin des ravages physiques et émotionnels de la captivité. Les orques rongeaient l’acier des portails, ce qui causait des fractures et des arrachements de leurs dents. Les orques s’acharnaient à mordre les coins des coins des bassins en béton, et décollaient la peinture bleue, endommageant tellement leurs dents que nous, les dresseurs, devions percer manuellement un trou dans la dent, pour ensuite irriguer le trou de manière invasive avec une solution de peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée, NDT), avec un cathéter en métal.
Autre symptôme de l’ennui : j’ai vu les orques se laisser flotter, inertes, pendant des heures et des heures, chaque jour, entre autres choses, pour compléter l’effondrement de la nageoire dorsale qui arrive à 100% des mâles adultes captifs, et même à quelques femelles. Dans la nature, cela arrive à moins d’1% des mâles adultes. En milieu naturel, c’est attribué à des blessures traumatiques, comme se faire percuter par un bateau. En captivité, c’est le temps anormalement long passé à la surface, et donc la force de gravité inévitablement exercée qui en est la cause.
J’ai été témoin et acteur de l’énorme distribution de médicaments avec lesquels les orques étaient dopées : antibiotiques pour traiter les affections chroniques, médicaments contre les ulcères et les infections fongiques, anti-épileptiques. J’ai même administré aux orques du Valium lorsque nous voulions effectuer une procédure invasive, comme retirer un veau à sa mère ou transférer des orques d’un parc à un autre.
Bien que SeaWorld clame qu’il offre à ses orques des soins de classe mondiale, certaines orques sont mortes dans leur adolescence ou plus jeunes. (La liste du National Geographic sur la durée de vie moyenne dans la nature indique qu’elle se trouve entre 50 et 80 ans). Unna est morte à seulement 18 ans, en décembre dernier, d’une forme rare d’infection fongique résistante aux traitements, et maintenant SeaWorld annonce que Tilikum est en train de mourir d’une souche bactérienne qui n’a pas encore été nommée.
Les 3 ou 4 dernières années de ma carrière, je me suis constamment battu avec le management au sujet de la séparation des mères et de leurs petits et de l’intensification du programme de reproduction par inséminations artificielles, mais rien de ce que j’ai pu faire n’a changé quoique ce soit. En dépit du fait que j’étais l’un des dresseurs d’orques les plus expérimentés de la compagnie. J’étais impuissant.
- Ce qui m’a finalement décidé à partir
Un énorme tournant pour moi est arrivé quand deux de mes collègues ont été tués. Alexis Martinez a été tué au jour de l’an 2009 dans un parc marin en Espagne, par une orque née et dressée à SeaWorld. Puis, Dawn Brancheau, que j’ai cotoyée personnellement pendant 9 ans, a été tuée juste deux mois plus tard au SeaWorld d’Orlando. Je peux comprendre et accepter leurs morts : tous les dresseurs expérimentés savent ce dont les orques sont capables. J’ai moi-même été victime d’au moins 10 agressions majeures dans l’eau avec les orques, lors desquelles j’ai été heureusement capable de reprendre le contrôle des orques pour aller me réfugier en sureté. Malheureusement, Martinez et Brancheau n’ont pas été aussi chanceux.
Tel que je m’en souviens, SeaWorld a blâmé les deux dresseurs de leur propres morts, au moins au sein de l’entreprise. Il a été dit de Martinez qu’il était assez peu expérimenté et qu’il s’est noyé à cause de la panique quand Keto l’a tiré au fond. L’autopsie et les dresseurs qui étaient présents racontent une autre histoire : il a été écrasé, et sa poitrine a explosé à cause de nombreuses blessures internes. Il est mort d’une mort violente. Quand il a été sorti du bassin, il a été constaté que du sang s’écoulait de son nez, de ses oreilles et de sa bouche, ce qui est un indicateur de l’étendue de ses blessures.
Pour Brancheau, l’explication donnée par la hiérarchie a été qu’elle était trop confiante, et qu’elle s’est mise elle-même en position de vulnérabilité. Le témoin expert de SeaWorld, Jeffrey Andrews, a certifié devant la commission fédérale 2011 de l’OSHA (Inspection du Travail américaine, NDT) que, au sujet de la mort de Brancheau, la seule chose qui avait conduit à cette fatalité était une erreur de Brancheau.
La vérité est plus complexe : nous ne saurons jamais pourquoi Tilikum a pris la décision d’attraper Brancheau, de la faire tomber dans l’eau et de la démembrer, mais ce que nous savons, c’est que c’était une attaque agressive. Les orques sont de sauvages prédateurs apex.
Les officiels de SeaWorld ont clamé qu’ils n’avaient aucune connaissance du danger que représente le fait de travailler à proximité immédiate des orques, ou avec eux dans l’eau, ce qui est ridicule. Les signatures de ces mêmes managers de SeaWorld se trouvent sur tous les documents internes qui décrivent combien les orques sont dangereuses et qui font état de la nécessité de n’avoir que les soigneurs les plus expérimentés pour travailler avec certaines orques.
Le juge fédéral Ken Welsh a écrit : « Aucune personne raisonnable… ne pourrait conclure que SeaWorld n’était pas au courant que travailler en contact rapproché avec les orques pendant les spectacles peut mettre ses dresseurs en danger. » Seaworld a perdu le procès en première instance et en appel.
- Pourquoi mon optimisme est prudent concernant l’avenir
J’ai choisi de dénoncer pour la première fois quand j’ai été interviewé pour le documentaire Blackfish, seulement 7 jours après ma démission. Depuis, je me suis battu pour obtenir ce que SeaWorld vient juste d’annoncer : la fin du programme d’élevage des orques en captivité. C’est une nouvelle formidable que j’accueille avec un optimisme prudent.
L’une des raisons concerne le fait qu’une orque de SeaWorld est gestante en ce moment -même. Je suppose qu’elle a été fécondée bien avant que Seaworld ne choisisse cette nouvelle direction historique. Mais cela veut malheureusement dire qu’une orque de plus va naitre en captivité.
L’autre raison est la suivante : le discours ne coûte rien, et SeaWorld a déjà fait des annonces similaires dans le passé, qui n’ont pas dépassé le stade de remous dans les relations publiques.
Maintenant, je voudrais voir comment Joel Manby, le PDG de SeaWorld, nommé il y a un an, va faire concorder ces mots avec les actes. En tant que nouveau leader par qui arrive le changement, il a besoin d’une équipe qui va l’aider à réaliser sa nouvelle vison pour le futur, ce qui veut dire virer l’ancienne garde et embaucher la nouvelle. Avec un changement d’équipe de direction commencé en février, le processus est en marche.
Ensuite, nous avons besoin de savoir exactement quel est son plan d’action. Oui, nous avons besoin d’être sûrs que le protocole ne permettra pas de gestation accidentelle dans le futur. Et, si cela se produisait tout de même, par le biais de quels arrangements ? Quelles seront les conséquences de cette décision, pas seulement pour les orques, mais aussi pour les autres animaux en captivité à SeaWorld ? Les réponses à ces questions ne vont pas arriver en une nuit, mais j’espère qu’elles arriveront bientôt.
En dépit de mes réserves, je dis bravo à Joel Manby pour avoir vu ce qui était écrit et avoir pris des décisions qui pourraient sauver la compagnie, décisions que personne avant lui n’était disposé à prendre. Je choisis de soutenir Manby et de lui donner une véritable chance de faire les bonnes choses. S’il joint les actes aux paroles, ce que je crois qu’il a déjà commencé à faire, alors ce sera un changement historique et une victoire pour les orques qui le méritent désespérément.
John Hagrove est un ancien dresseur en chef de SeaWorld. Après avoir démissioné de SeaWorld, il a témoigné dans le documentaire Blackfish, primé à Sundance. Il est l’auteur de « Beneath the Surface: Killer Whales, SeaWorld, and the Truth Beyond Blackfish ».
Mise à jour
L’orque Tilikum, qui était détenu au SeaWorld d’Orlando (Floride), est mort le 6 janvier 2017.
Déclaré malade par les équipes du parc depuis mars 2016, il a passé presque toute une année à lutter contre une infection des poumons, d’origine bactérienne, (d’après les équipes du parc) avant de s’éteindre, loin des siens, dans sa prison de béton.
Tilly a été capturé dans les eaux islandaises à l’âge de 2 ans, arraché à sa famille alors qu’il n’était encore qu’un bébé. C’est plus de 30 longues années qu’il aura passé au sein de différents parcs, la captivité et les mauvais traitements le rendant psychotique. Il fut placé à l’isolement sous camisole chimique après avoir tué et démembré sa dresseuse.
Toute la presse a relayé la nouvelle de la mort de l’orque.
Quelques exemples :
Le Huffington Post
Le Monde
Libération
Le Parisien
L’Obs – Temps Réel
L’existence misérable de Tilikum est contée dans le documentaire Blackfish, primé à Sundance en 2013. Ce documentaire de Gabriela Cowperthwaite a attiré l’attention de l’opinion public sur les conditions de détentions de cétacés dans les parcs, et a été le point de départ d’un raz de marée qui ne cesse de croître et de submerger ce business autrefois lucratif.
La mort de cette figure emblématique a relancé plus que jamais le débat sur la captivité des cétacés, et sur leurs conditions de détention.